La sobriété énergétique fait un pic dans l’actualité de cette fin d’année. Et pour cause, la crise géopolitique en Ukraine vient s’ajouter à l’épuisement des ressources de plus en plus préoccupant. Depuis sa création, le Campus de la Transition prône la mise en mouvement indispensable dans la Grande Transition. Pour l’association et les membres de l’écolieu, le choix de réduire notre impact environnemental est une évidence.
Comment ? A travers trois leviers – sobriété, efficacité, énergies renouvelables, comme le propose l’association NégaWatt pour « repenser notre vision de l’énergie ». C’est basé sur cette approche que nous incarnons quotidiennement cette nécessaire sobriété énergétique dans l’écolieu du Campus de la Transition. Pour mieux comprendre cette notion, partons à la rencontre de François de la Noue. Habitant pendant près de deux années au domaine de Forges, il a été un moteur dans le pilotage de cette démarche collective.
Comment cette notion de sobriété énergétique est-elle apparue au Campus de la Transition ?
Le Campus de la Transition est une association qui a vu le jour il y a 5 ans. Depuis ses débuts, plusieurs personnes habitent au château de Forges, un bâtiment ancien datant du XVIIIe siècle. Notre objectif est de tester un mode de vie en collectif, en portant évidemment des valeurs environnementales et sociales fortes. La question de la sobriété est donc inévitable. Le château dans lequel nous résidons est très agréable à vivre en été, avec de grandes fenêtres, mais son ancienneté le rend bien plus difficile à habiter en hiver. En effet, en attendant les travaux d’isolation, aujourd’hui c’est ce qu’on appelle une (véritable) passoire thermique… La démarche de sobriété prend alors tout son sens, notamment vis-à-vis du chauffage : la taille du bâtiment combinée aux déperditions thermiques impliquent une consommation d’énergie dantesque. Le choix d’une sobriété paraît donc indispensable pour rester aligné avec nos valeurs.
Toutefois, au-delà des habitants et habitantes, l’écolieu accueille également des personnes en formation tout au long de l’année. Des personnes souvent moins engagées dans un processus de Transition. L’enjeu devient donc de trouver le bon degré de sobriété tout en assurant un confort thermique minimal pour ne pas rompre le lien avec des personnes plus éloignées de ce mode de vie.
Quels sont les enjeux soulevés par cette démarche de sobriété ?
Le premier enjeu se situe au niveau de la consommation énergétique. Notre définition de la sobriété étant basée sur les travaux de Négawatt, la question du besoin est centrale. On essaye de cerner au mieux nos besoins essentiels et de remettre en question nos pratiques. Cette réflexion nous permet de rentrer dans une logique de réduction de notre consommation à la racine.
La dimension pédagogique est aussi un défi important. On essaye de prouver par l’exemple que l’on peut vivre bien tout en consommant moins d’énergie. Il est donc fondamental de pouvoir le tester, l’éprouver, et montrer au public que l’on accueille que c’est possible. L’idée est de transmettre notre démarche et nos apprentissages dans un discours authentique ; c’est-à-dire partager nos solutions alternatives pour réduire notre consommation d’énergie, la façon dont on ré-apprivoise la notion de besoin, mais également exposer les difficultés auxquelles nous faisons face.
Ceci nous amène à notre dernier objectif : garantir un niveau de confort suffisant pour les multiples profils de personnes qui séjournent au château. Nous cherchons l’équilibre entre les habitants et habitantes aux visions plus radicales (qui pourraient vivre sans chauffage) et les personnes accueillies, davantage accoutumées à travailler et vivre dans des bâtiments chauffés et qui peuvent ressentir un choc en arrivant dans cet environnement inhabituel.
Concrètement, par quelles actions la sobriété est-elle incarnée ?
Il y a de nombreuses solutions qui sont explorées dans l’écolieu. On peut commencer par le sujet de se tenir chaud en hiver, puisque c’est un sujet qui fait couler beaucoup d’encre en ce moment quand on parle de sobriété. Au Campus, depuis trois ans maintenant, nous avons lancé une démarche nommée « l’Opération Sibérie ». Cette démarche est collective et relancée chaque hiver. Elle rassemble tous les habitants et habitantes volontaires pour réfléchir aux moyens de nous tenir chaud sans faire exploser notre consommation de chauffage.
On distingue trois axes d’action. Le premier s’attache à « réchauffer les corps ». On se demande comment se tenir chaud à l’extérieur ou dans les espaces pas ou peu chauffés. Quels vêtements sont adaptés et comment les mettre à disposition ? Comment remettre l’utilisation de bouillottes au goût du jour et comment faciliter leur usage avec des chauffe-eau positionnés stratégiquement dans le château ? Peut-on mettre des couvertures à disposition dans toutes les pièces ?
Le deuxième axe se focalise sur le chauffage des volumes. Quels espaces choisit-on de chauffer pour ne pas chauffer toutes les pièces du bâtiment ? Dans ces espaces dédiés, quels sont nos besoins de chauffage ? Par exemple, les bureaux requièrent un minimum de chauffage en journée, car ils sont occupés par des personnes statiques sur ordinateur. La nuit évidemment ce besoin disparaît. Finalement trois questions se posent régulièrement : où, quand, et comment chauffer. Un autre exemple que l’on a imaginé, puis mis en œuvre, consiste à réduire les volumes à chauffer, notamment en construisant des alcôves dans les dortoirs.
Le troisième axe se concentre sur la communication. Comme on accueille des publics variés (habitants et habitantes, formations, bénévoles…), il apparaît important que chaque personne puisse être informée des choix et actions mis en œuvre, ainsi que des solutions à disposition. On souhaite faciliter l’accompagnement pour que tout le monde sache : comment bien se vêtir ? Comment bien préparer son lit pour dormir au chaud dans une chambre froide ? Comment et à qui faire des retours si on souffre du froid ? Le tout avec la volonté de favoriser les échanges autour de cette démarche.
Après avoir parlé de sobriété, on s’intéresse maintenant aux sources de chauffage. Quelle solution a été instaurée pour chauffer le château, et pourquoi avoir fait le choix d’une énergie renouvelable ?
Après avoir redéfini nos besoins et réduit autant que possible notre consommation, il reste tout de même une consommation d’énergie inévitable pour chauffer certains espaces. La question que l’on se pose alors est : quelle solution choisir pour émettre le moins de CO₂ possible ?
Au Campus, nous avons opté pour l’installation de nouvelles chaudières à bois-bûches. Quand nous sommes arrivés au château, il y avait des chaudières au fioul qui étaient hors service depuis quelques années. Nous avons décidé de ne pas les rallumer car l’utilisation du fioul est extrêmement polluante. Nous avions malgré tout besoin d’une source d’énergie ! Après de nombreuses réflexions, l’association a choisi l’alternative de la chaudière bois-bûche, moins carbonée. En effet, le bois énergie peut être considéré comme une énergie renouvelable, tant que la consommation est modérée. Cette ressource est également plus locale, et nous pouvons nous la procurer sur notre territoire. À termes, une partie de la matière proviendra même de notre propre forêt !
Un autre aspect intéressant avec le bois-bûche est celui de l’alimentation de la chaudière, qui est à la charge des personnes qui habitent au château. Être en charge de la gestion de la chaudière permet de garder la mesure de l’énergie consommée. Forcément, quand il faut aller dehors soi-même, chercher du bois, et le charger dans la chaudière, on se rend tout de suite plus compte des volumes nécessaires pour se chauffer. Il y a donc une vraie valeur pédagogique qui permet de reprendre conscience du coût réel de l’énergie.
En guise de bilan de cette démarche de sobriété énergétique choisie, comment est-elle vécue par les personnes qui composent le Campus ?
Cette sobriété, outre la réduction de notre consommation d’énergie, peut aussi avoir d’autres avantages. C’est un changement de mode de vie que l’on essaie de ne pas faire ressentir comme une punition ou une privation. Une chose est sûre : avec l’inclusion d’un maximum de personnes dans la démarche de l’Opération Sibérie, on se rend compte que plus les personnes sont parties prenantes dans les réflexions et les solutions proposées, plus les propositions sont facilement comprises, acceptées et mises en œuvre. En parallèle, il y a même un côté gratifiant à se dire « j’ai réussi à tenir l’hiver en ne chauffant pas ou peu ma chambre alors que je n’aurais jamais cru pouvoir faire ça avant. » Si, à l’arrivée des personnes, on leur disait qu’elles allaient passer leur hiver avec une chambre à dix degrés, je ne doute pas que plus d’un auraient fui ! Pourtant, avec toute cette démarche, il y a une certaine fierté à se dire « je l’ai fait, et ce n’était pas désagréable. » Autre exemple fort pour nous, nous sommes plus incités à nous retrouver et rassembler dans les quelques pièces chauffées du château, ce qui crée aussi un effet de groupe et de convivialité. On renforce nos liens et on crée de la chaleur humaine. Finalement, toute cette démarche nous permet de vivre une sobriété que nous décrivons fièrement comme étant « heureuse et solidaire ».
Passionnant ! Courage ! Poursuivez !
J’ai moi-même habité la communauté de Forges dans les années 85 et suivantes. Même avec du chauffage , il faisait 11° dans ma chambre à l’angle nord du 2d étage ….On n’en meurt pas ! mais il y a un enjeu éducatif aussi pour aider les jeunes à se forger un peu de caractère et les familles à mener cette lutte contre trop de cocooning . Bonne fin d’année et Beau Noël à toutes l’équipe . Sr Jacqueline . religieuse de l’Assomption .