Une pédagogie innovante
Une vision systémique des enjeux de la « Grande Transition »
Dans le contexte écologique et social, parler de transition consiste à chercher à passer d’une situation contemporaine marquée par des trajectoires insoutenables à un état des sociétés caractérisé par la soutenabilité et l’équité, vis-à-vis des générations présentes comme des générations futures.
Derrière tous ces objectifs qui sont devant nous, de multiples questions se posent : comment assurer ces passages à partir de réalités marquées par le réchauffement climatique, la destruction du vivant, la pauvreté, les inégalités, les conflits pour l’appropriation de ressources, les incertitudes ?
La « Grande Transition » est donc systémique : à la fois écologique, sociale, économique, culturelle, politique, citoyenne…, elle se veut également « juste ».
Ainsi, les questions en jeu doivent pouvoir croiser les parcours de chaque étudiant, quels que soient sa discipline et son cursus, qu’il ou elle soit en langues, en arts plastiques, en science de gestion ou en mécanique des fluides, en littérature ou en droit, en sociologie ou en école d’infirmier.
Un ouvrage inter et transdisciplinaire
Le manuel de la Grande Transition suit ainsi une approche inter et transdisciplinaire car la « Grande Transition » ne touche pas simplement l’environnement ou l’économie comme il est de coutume de le penser mais le cœur même de nos représentations et donc tous les domaines du savoir.
Cette approche se traduit par la proposition d’un parcours en 6 portes, à traverser en ordre libre. Il s’agit de 6 angles d’approche différents qui ouvrent sur les enjeux de la transition depuis une perspective particulière (celle des sciences dites « dures », des sciences humaines et sociales, des sciences de gestion, du droit etc…).

Chaque porte a reçu un nom grec et une description commençant par un verbe qui exprime le mieux la mise en action :
- « Oikos » (qui signifie maison en grec) : habiter un monde commun.
- « Ethos » (comportement) : discerner et décider pour bien vivre ensemble.
- « Logos » (parole) : interpréter, critiquer et imaginer.
- « Nomos » (loi) : mesurer, réguler et gouverner.
- « Praxis » (action) : agir à la hauteur des enjeux.
- « Dynamis » (force) : se reconnecter à soi, aux autres et à la nature.
Ces 6 portes permettent de ne manquer aucune des bonnes questions à se poser face aux défis de la « Grande Transition ». Savoir, savoir-être et savoir-agir s’y complètent et s’y enrichissent mutuellement dans une dynamique globale, intégrant la pédagogie ‘tête-corps-cœur’ mise en œuvre au Campus de la Transition depuis sa création : 6 portes qui ouvrent sur l’action.
Il s’agit « d’outils » mis à disposition de chacun, adaptables à chaque contexte et chaque profil de telle sorte qu’ils peuvent être utilisés en tenant compte de la problématique à traiter (un peu comme des briques de Lego). Un enseignement, quel qu’il soit, ayant ouvert ces 6 portes, aura abordé l’ensemble des enjeux de la « Grande Transition » de manière cohérente.
Les 6 portes en détails
Les six dimensions de l’enseignement de la « Grande Transition »
Afin de « se mettre en mouvement » face au réchauffement climatique et à la dégradation du vivant, le Manuel de la Grande Transition décline 6 « portes » à emprunter dans n’importe quel sens pour se fabriquer son propre parcours.
- Rendez-vous est pris avec « oikos » d’abord : la Terre, la maison commune. Dans cette première entrée, le diagnostic se place du côté des sciences dures, identifiant les risques à rendre notre « planète inhabitable » et notre « monde invivable » et permettant de réfléchir à la façon de préserver les ressources qui s’épuisent.
- On salue ensuite « ethos », l’éthique, définie par le philosophe Paul Ricœur comme une recherche visant à « vivre bien, avec et pour les autres, dans des institutions justes ». Ce chapitre touche aux responsabilités communes – sociales, morales et politiques – pour nous engager collectivement vers l’horizon d’une société désirable.
- C’est alors que l’on croise « nomos », la règle. Ici sont convoquées des disciplines juridiques et économiques : les indicateurs actuels sont-ils pertinents ? Ne donnent-ils pas « priorité absolue à la croissance, sans se soucier des équilibres vivants » ? Le calcul du produit intérieur brut (PIB), par exemple, ne prend pas en compte les activités non monétaires et non marchandes. En cas de catastrophe naturelle, qui oblige à recourir à des moyens matériels, il augmente démesurément.
- Ne pas oublier « logos », le langage et la raison, qui invite à interroger les récits de la transition. A l’expression de « changement climatique », faut-il préférer « l’urgence climatique » ? Le quotidien anglais The Guardian travaille à éviter la minimisation de ces questions par les lecteurs, qui pourraient être « endormis par un vocabulaire trop doux ». L’objectif étant d’être lucide, sans obéir à un catastrophisme pur.
- On passe à « praxis », la pratique, l’action. Si un battement d’ailes à Tokyo a des retentissements au Brésil, comment trouver des logiques convergentes, relier les différentes échelles de mobilisations sociales et citoyennes ? Alors que les inégalités augmentent, peut-on continuer d’opposer « fin du monde » et « fin du mois » ? Mouvements des « gilets jaunes » et marches pour le climat ?
- Pour boucler la boucle, « dynamis », la puissance, propose une reconnection à soi et à la nature, favorisant une forme de résilience. Les traditions spirituelles, culturelles et religieuses peuvent-elles aider à traverser les catastrophes annoncées ? L’idée de « sobriété heureuse », avec des propositions concrètes comme la permaculture ou la création de monnaies locales, favorise à la fois le respect de l’environnement et la cohésion sociale.
Entre chaque porte, des exercices de réflexion font office de pause.
Source : Un nouveau « manuel de la grande transition » pour former tous les étudiants au défi climatique, Le Monde, 16 novembre 2020